1965 – 1982

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Alors que le Maine-et-Loire est resté à l’écart des importants mouvements migratoires que connaît la France depuis la Seconde Guerre mondiale, il rattrape son retard à partir de 1962 : de1962 à 1982, la population étrangère a augmenté de 169% en France, de 539% en Maine-et-Loire ! Le Maine-et-Loire prend en marche le train de l’immigration : à cette date ce sont les Portugais et les Marocains qui arrivent en France, et donc dans ce département.

Les effectifs de la population étrangère en Maine-et-Loire :

  1962 1968 1975 1982 1990
Selon Insee 3476 3624 8600 13932 13298

En savoir plus : Des chiffres Maine-et-Loire (1 – nombre d’immigrés et d’étrangers)

En 10 ans (1965-1975), la population étrangère est multipliée par 3,4, changement déjà important. Mais le changement est encore plus spectaculaire dans le poids respectif des différents groupes nationaux. Les membres des six nationalités récemment arrivées en Maine-et-Loire (Portugais, Marocains, Tunisiens, Algériens, Turcs, Yougoslaves) ont été multipliés par 8,6, alors que le total des membres de toutes les autres nationalités n’a augmenté que de 39%.

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En savoir plus : Des chiffres Maine-et-Loire (2 – répartition par nationalité)

Du coup, la composition par nationalités (les 6 premiers groupes) est très différente de la situation nationale : les arrivants « récents » sont ici plus nombreux que ceux des flux plus anciens.

Proportion des six principales nationalités (arrondis, supérieur à 100)

Algériens Portugais Italiens Espagnols Marocains Tunisiens
France      1973 26% 25% 18% 18% 10% 5%
Maine-et-Loire 1975 8% 49% 4% 6% 26% 10%

 

Pour la grande majorité des nouveaux arrivants, le Maine-et-Loire est le lieu de leur débarquement en France en France, et ils sont arrivés récemment . A partir du recensement de la population étrangère d’Angers en 1972, on constate que 67% des hommes espagnols, 32% des hommes algériens, sont entrés en France avant 1960, mais seulement 5% des Tunisiens, 4% des Portugais, et 1,5% des Marocains. Pour les Marocains et Portugais, le mouvement est en plein dynamisme à cette date, puisque 26% des hommes marocains sont entrés en 71-72 (86 par an en moyenne) et 39% des hommes portugais (soit 32 par an). Pour les Tunisiens, 18% (50 par an). A l’échelle nationale, on passe de 84 000 Marocains en 1968 à 260 000 en 1975. Pour les Portugais en 1969-70, il y a 250 000 immigrants.

Comment arrive-t-on en Maine-et-Loire ?

Voir Emplois

Les « nouveaux immigrés » viennent uniquement pour trouver du travail, et ils en trouvent rapidement lien vers la fiche emploi . Cependant, une partie des Portugais demandent le statut de réfugiés politiques, essentiellement des jeunes refusant de participer aux guerres coloniales : au 31 décembre 1966, sur les 525 Portugais, il y a 111 réfugiés politiques. Mais ce statut n’a pas beaucoup d’intérêt après 1963, puisque le gouvernement français suspend alors tout contrôle de l’immigration portugaise. En 1975, apparaissent de nouveaux réfugiés, du Sud-Est asiatique, puis suivront, bien moins nombreux, ceux venant d’Amérique latine.

En principe, sauf pour les Algériens et les ressortissants d’ Afrique noire, les étrangers ne peuvent entrer que dans le cadre d’un recrutement par l’intermédiaire de l’Office national de l’immigration, ou du regroupement familial (lui aussi supervisé par l’ONI). Mais dans la pratique , comme le montre le gros ? porté sur le rapport du directeur départemental de l’action sociale du 3 février 1964, ce contrôle est loin d’être général. Officiellement, les entrées connues par les documents venant de l’ONI sont  pour 1963-1964 de 22 Espagnols, 5 Italiens , 3 Portugais, 31 Marocains, 4 Tunisiens. Mais ces chiffres sont bien inférieurs à la réalité. La situation du Maine -et-Loire reflète parfaitement la situation générale : le taux de régularisation sur place des travailleurs permanents par l’ONI croît jusqu’à 82% en 1968 [1].

Voir le voyage de trois travailleurs portugais

Le rapport du Directeur départemental du travail et de l’emploi , le 19 février 1965, est plus juste : « Les étrangers entrés en France sans contrat de travail sont le plus souvent hébergés par des compatriotes au début de leur séjour. Les difficultés qui se sont présentées concernent l’hébergement de réfugiés ou de clandestins dirigés vers notre département. Toutefois, il s’agit là de cas isolés et peu nombreux (4 ou 5 chaque année). »

Le nombre de travailleurs introduits en Maine-et-Loire par l’ONI est [2] :

1965 1966 1967 1968 1969 1970
 211  229  302  147  486 471

A défaut d’être exactes, ces données révèlent la tendance.

Il en va de même pour les regroupements familiaux : officiellement, en 1964, il y a eu 7 regroupements familiaux . Mais le préfet estime (février 1965) : « La venue des familles ne devrait se faire qu’après avoir confirmation d’un logement ; il est à noter, cependant, que les services d’immigration sont « court-circuités », et que des régularisations doivent se faire à postériori ». Là encore, rien d’original : pour l’ensemble de la France, les régularisations à postériori concernent 85% des familles en 1965, 87,2% en 1972 [3].

Les dossiers constitués en 1970-1971 pour le Maine-et-Loire montrent 48 demandeurs : 34 Marocains, 9 Portugais, 4 Tunisiens, qui demandent l’introduction de 96 épouses et enfants, et 19 alliés (beaux-parents, cousin). En général, l’écart entre la date d’arrivée en France du travailleur et la date de dépôt de la demande est court (deux à trois ans).

Contrairement à ce qu’on entend dire parfois, le regroupement des familles commence en même temps que cette nouvelle immigration : simplement, il n’attire pas l’attention puisqu’il se fait dans l’ombre du grand mouvement d’immigration de main d’œuvre masculine.

En savoir plus : Des chiffres Maine-et-Loire (3 – Répartition des étrangers par catégorie)

C’est la grande caractéristique de cette phase de l’immigration : son caractère masculin. On retrouve la proportion d’adultes masculins des années d’Entre-Deux-Guerres : 70%. Entre 1964 et 1970, la proportion de femmes sur les adultes passe de 7,5% à 9% chez les Algériens. Chez les Marocains et les Tunisiens, elle varie de 4 à 20% entre 1966 et 1970, sur de petits effectifs ; plus significatifs, la mention d’enfants, à partir de 1966, chez les Tunisiens, de 1967 chez les Marocains. Mais la situation peut évoluer rapidement par le regroupement familial. En 1974, la place des hommes adultes dans chaque groupe est inversement proportionnelle à l’ancienneté de l’arrivée du groupe. Le taux est maximum chez les Turcs (84% d’hommes) ; viennent ensuite les Tunisiens (71%) et les Yougoslaves (70%), les Algériens (62%), les Marocains (51%) , et les Portugais (36%). Sur l’ensemble de la population étrangère, les hommes sont 48% en 1974, mais en 1979, ils ne sont plus que 39%.

En savoir plus : Des chiffres Maine-et-Loire (3 – Répartition des étrangers par catégorie et nationalité)

La proportion de femmes (en 1975, 20%), est plus faible pour ces six groupes que dans l’ensemble de la France (40%) [4]. Sur l’ensemble de la population étrangère de Maine-et-Loire, les femmes sont 23% en 1974, 25% en 1979 ; les enfants aux mêmes dates 28% puis 36%. C’est désormais le regroupement familial qui explique la croissance du nombre d’étrangers. Une enquête de 1978 (Les femmes musulmanes – un regard de sociologue) estime à 89% la proportion des femmes musulmanes venues dans la cadre du regroupement familial. Une autre enquête (Brouard, 1979), sur 26 familles, révèle que la moitié des regroupements ont eu lieu 1 an ou 2 ans après l’arrivée du père.

Par leur petit nombre, les étrangers n’attirent guère l’attention en Maine-et-Loire. A l’échelle nationale, l’immigration ne devient un problème politique que dans les années 70. Divers évènements attirent l’attention : en janvier 1970, un incendie de taudis à Aubervilliers où décèdent cinq Maliens, en 1973 des incidents racistes à Marseille. Ce n’est donc que dans les années 1970 que les étrangers deviennent « visibles » aux yeux des Angevins.

Jean-Luc Marais,
docteur en histoire et maître de conférences honoraire à l’université d’Angers.

[1] Ralph Schor, Histoire de l’immigration en France, Colin, 1996, p. 210)

[2] Insee, Pays de Loire, N° 1, 1971

[3] Ralph Schor, Histoire de l’immigration…, p. 201.

[4] Idem, p. 244.