Histoire – la jeunesse angevine de Joseph Wresinski (Fondateur ATD Quart-Monde)

Jean-Luc MARAIS, docteur en histoire et membre d’HMIA nous propose de revenir sur le parcours de la famille de Joseph Wresinski à Angers, le fondateur d’ATD Quart-Monde. Nous proposons ci-dessous son texte, complété par l’article paru dans le journal Ouest-France disponible via ce lien de téléchargement.

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Le parcours d’une famille venant de Prusse (Posnanie) arrivée en France en 1913 : les Wrzesinski[1]

Wladislaw Boleslaw Wrzesinski , né à Schrinne (dans la partie de la Pologne annexée par le Prusse depuis 1793) le 1e aout 1879, quitte son pays à 24 ans[2] (1903 ?), épouse à Madrid Lucrèce Sellas, née le 22 aout 1882. Leur premier fils nait à Madrid le 12 juillet 1912[3], il a 4 à 7 mois quand ses parents quittent Madrid (début 1913 ?), pour Posen –alors Poznam, en Prusse (Pologne annexée depuis 1815) ils y restent « à peu près 8 mois », et viennent à Paris « vers le mois de septembre 1913 »[4] . La famille y séjourne donc 11 mois. Une fille, Sophie, naît à Paris le 12 juillet 1914, 172 rue Saint-Maur (Paris XI°)[5].

L’internement administratif des étrangers pendant la guerre

Lors de la déclaration de guerre, en août 1914, tous les étrangers sont placés dans des centres de regroupements, des camps, sous le régime de « l’internement administratif ». Le 10 aout 1914 arrivent à Saumur 531 personnes, Allemands (360) et Autrichiens, h, f, et enfants, qui sont d’abord internés au château, puis en divers lieux (terrain du Breil, caserne Feuquières, collège : les conditions sont déplorables). Parmi les Allemands, il y a beaucoup de Polonais, dont la famille Wrzesinski, un couple et deux enfants.  Madame Wrzesinski consulte à l’hôpital pour elle-même ou un enfant (ce doit être sa fille, âgée d’un mois).

La séparation de la famille

Le 29 septembre, un convoi de 46 austro-allemands mobilisables est envoyé de Saumur à Brest. Ils sont incarcérés dans divers bâtiments militaires vides, dont le fort de Crozon.  Parmi eux, Wlatyslaw Wrzenski (sic). Suite à la circulaire du 21 décembre 1914, les hommes mariés peuvent demander à rejoindre leurs femmes, d’où un courrier du préfet de Finistère, du 28 décembre 1914, au préfet de M-et-L, envoyant une liste de 18 noms : sur celle-ci, Wladislas est noté : Allemand, 35 ans. Polonais, a exprimé le désir de rejoindre sa femme à Mongazon. Le préfet doit vérifier si les familles sont bien là.

Sa famille (son épouse, les deux enfants, n’est plus  à Saumur. Le 2 octobre, le camp a été fermé[6], et les austro-allemands envoyés à Angers, à Mongazon et à l’ancien séminaire. Une liste non datée [7] mentionne la mère et ses deux enfants. La population de Mongazon, ancien petit séminaire est hétéroclite : « dépôt d’Austro-Allemands », mais bien d’autres y sont hébergés.

Le regroupement familial

Le 8 janvier 1915, le préfet du Finistère annonce au préfet de Maine-et-Loire le départ d’un convoi de 18 Allemands. On ne sait pas quand le père arrive, mais le 13 février 1915, la famille réunie s’installe dans l’ancien grand séminaire. « La famille Wrzesinski habite au cantonnement depuis le 13 février » écrit le 12 juillet 1915 le responsable au préfet. Un document antérieur au 22 juin 1916, atteste de la présence de Wrzesinski Wladyslaw, 35 ans, né à Schrimm, ingénieur, nationalité Bosniac Polonais, de son épouse Lucrécia Pellas (sic), sp. née à Madrid, de Louis, né à Madrid, 20 mois ( ?), de Sophie Jeanne, 7 mois[8]. Cette nationalité est curieuse, puisque ces deux territoires sont éloignés l’un de l’autre, et relevaient avant la guerre de deux Empires différentes, l’Allemagne et l’Autriche. Est-ce une « invention » de Wladislas, voulant jouer sur deux tableaux, ou a-t-il une origine partiellement bosniaque ?

Une situation mal définie

Désormais, les W sont catalogués comme « Polonais bosniaques », et dans les états des nationalités logées au grand séminaire (ex. juillet 1915), cette catégorie apparaît avec 4 représentants : les Wrzesinski ! A noter que sur l’acte de décès de Sophie, avait été porté d’abord de « nationalité polonaise », mais que la formule avait été rayée immédiatement, l’Etat polonais n’existant pas à cette date (16 avril 1916).

En 1915, ils sont « polono-bosniaque », susceptible de toucher une aide du gouvernement austro-hongrois, distribuée par l’intermédiaire de l’ambassade des Etats-Unis. On apprend à cette occasion que le père travaille à l’extérieur du « dépôt des étrangers » chez un fabricant de parapluies, et que la mère travaille à l’intérieur, pour l’armée.

Sur l’acte de naissance de Joseph est noté que les deux parents, Wladislas et Lucrère, sont « sujets polonais ».

A une date inconnue, ils quittent l’ancien grand séminaire, pour s’installer « rue de la Harpe ». Cela semble se situer avant la fermeture du dépôt décidée en décembre 1917. En mars 1918, ils sont rue de la Harpe, puisque c’est l’adresse qui apparaît lorsqu’ils reçoivent la subvention de 1,5 f par adulte et 1F par enfant.  En juillet 1918, lorsqu’ils demandent une aide au Service des réfugiés et évacués, ils sont 14 rue Saint Jacques. Ils y sont toujours en mars 1920, famille « Polonaise allemande », note le commissaire de police.

Des Polonais installés

On les retrouve à cette adresse dans les recensements de 1921, 1926, 1931, 1936, et dans l’Annuaire statistique, administratif et commercial de Maine-et-Loire pour 1920 et 1921. Dans celui de 1931, on précise : au 14 bis.

La famille est formée du père, de la mère, et de  Louis, né le 14 (ou 12) juillet 1912. Joseph naît le 12 février 1917, à Angers : l’adresse officielle est rue Boreau, mais en fait il est né à la maternité de l’hôpital. Antoinette naît le 20 février 1920, et Martin le 22 mai 1922. Le père est présent en 1921 (recensement), en juin 1922 (baptême de Martin) mais n’est plus là au moment du recensement de 1926 (n’est cependant pas porté « absent »). Dans le rapport de police fait lors de la naturalisation de Louis en 1934, le commissaire écrit : « Son père a quitté le domicile conjugal en 1929 pour retourner en Pologne ».

La naturalisation et le droit du sol

Le père est porté comme polonais en 1920, la mère et Louis comme espagnols, Joseph et Antoinette comme polonais (voir cartes de travailleur étranger). Le recensement des étrangers de 1931[9] montre la répartition des Polonais dans la ville, essentiellement au nord-est : cité Montrejeau, rue La Réveillère, chemin de l’Arceau, chemin du Hanipet, du Doyenné : les Polonais sont nombreux à travailler à la Tréfilerie de Montrejeau. Ils sont rares dans la Doutre : 3 rue d’Alger, 3 rue Saint-Nicolas, 1 rue Descartes. Et les Wrezinski rue Saint-Jacques, sont tous recensés comme Polonais, même les deux « Espagnols » : la nationalité du père, même absent, l’emporte. D’ailleurs, le droit français à cette époque donne à l’épouse la nationalité de son mari.   Les Wrzesinski. fréquentent-ils les Polonais ? En 1920, lors du baptême d’Antoinette, les parrains et les marraines sont deux Polonais (Ignas Novacki et Maria Novacka), mais ils sont absents. Lors du baptême de Martin, Louis son frère ainé est parrain, la marraine est Sophie Wrzesinski, dame Stankiewicz, représentée par Petronela Tymrakiewicz.

Les enfants Wrzesinski sont considérés par leur employeur comme français, même s’ils ont une carte de travailleur étranger qu’ils demandent et renouvellent régulièrement. Lorsque Louis demande sa naturalisation[10], pour pouvoir faire son service militaire, le rapport du commissaire de la police municipale (20 mars 1934), est très favorable : « Il parle très couramment notre langue et n’a fait l’objet d’aucune remarque défavorable du point de vue national. Il fréquente des Français, il a une bonne instruction primaire, mais ne possède aucun diplôme ». La situation de Louis était différente de celle de Joseph et des cadets. Louis est né à Madrid : il ne peut devenir français que par une naturalisation par décret. La loi du 10 août 1927 sur la nationalité s’applique à lui (art. 6, alinéa 2) : il peut devenir français, puisqu’il a plus de 18 ans, et réside en France de façon ininterrompue depuis plus de trois ans[11].

Joseph, Antoinette et Martin sont polonais comme leur père, mais nés en France. S’applique à eux le droit du sol (loi de 1889, et art. 3 ou 4 de la loi de 1927) : sauf refus de leur part, ils deviennent français à 21 ans. Pour les hommes, la participation aux opérations de recrutement militaire vaut déclaration. Quand le second employeur de Joseph lui fait une attestation où il est qualifié de français, ce n’est pas juridiquement exact (il n’a pas 16 ans et ne peut réclamer la nationalité française[12]), mais c’est tout à fait logique puisqu’il l’obtiendra quasi automatiquement par la loi. Sur sa fiche de conseil de révision, est noté : « fils d’étranger, français, sauf faculté de répudiation ».

Jean-Luc MARAIS, Docteur en Histoire, Membre d’HMIA

Notes et références.

[1] Cette orthographe sera modifiée en Wresinski.

[2] Demande de secours, 1918, ADML, 10 R 6/249, Réfugiés se fixant en Maine-et-Loire, famille Wrzesinski.

[3] ADML, 8 R 163, Liste nominative des personnes logées à la maison de Refuge,  8bre 1917. Mais sur sa demande de naturalisation, il est né le 14 juillet 1912)

[4] Dossier de naturalisation de Louis, lettre non signée, mais très probablement de la mère (ADML, 8 alpha 120), 1935)

[5] AM Angers, état-civil, acte de décès de Sophie Jeanne Wrzesinski, et acte de naissance de Joseph.

[6] Sur ce camp, voir la notice de Joseph Denécheau, dans son site Saumur-jadis : http://saumur-jadis.pagesperso-orange.fr/recit/ch42/r42d3camp.htm, consulté janvier 2017.

[7] 8 R 167. Une liste de février ( ?) 1915 ne contient pas de Wrzesinski, mais une autre non datée mentionne, chambre 9, Lucrécia Cellas ép. W, son fils Louis Antoine, 2 ans, et Sophie Jeanne, 2 mois. On peut supposer que le rédacteur a repris un document venant de Saumur, puisqu’à 2 mois, cette enfant était à Saumur.

[8] 8 R 164, Liste alphabétique des hospitalisés au grand séminaire, de sept 14 à déc 17. Reliée avec ce cahier : Liste complémentaire, du 22  sept 14 au 22 juin 1915. Page 15

[9] ADML, 32 M 22.

[10] ADML, 60 alpha 120.

[11] La loi de 1927 modifiait la loi de 1889 en réduisant la durée du séjour nécessaire de 10 à 3 ans.

[12] Même après 16 ans, il fallait l’autorisation du père (article 3 de la loi de 1927), or l’absence de celui-ci aurait rendu impossible cette démarche)

Jean-Luc MARAIS, Docteur en Histoire, Membre d’HMIA