Les questions spécifiques aux femmes 

Le regroupement familial, c’est concrètement l’arrivée de femmes. Pour les autorités, lorsque ces femmes sont logées, le problème est réglé, puisqu’il n’est pas prévu que les femmes aient accès à l’emploi. Alors que les hommes ont accès à la vie française par le travail, les femmes sont isolées, ayant peu d’occasions de contacts avec l’extérieur. Certaines reçoivent une formation au français. Mais les bénévoles en contact avec elles s’interrogent sur les besoins des femmes : peut-on leur appliquer les méthodes utilisées pour les hommes ?

Une approche technocratique

Le gouvernement ne s’intéresse aux problèmes de la formation des travailleurs immigrés qu’à partir de 1975 (politique Dijoud, secrétaire d’Etat à l’immigration) : la circulaire du 22 octobre sur la formation des immigrés évoque une formation socio-éducative pour les femmes. Localement, c’est le 1er janvier 1976 qu’a lieu la première réunion du groupe de travail « action éducative des migrants ». On fait le bilan de ce qui existe. Pour les femmes ; à Angers 75 femmes sont prises en charge par l’APTIRA ; à Cholet, 18 femmes ont bénéficié de cours d’éducation sanitaire [1].

La réunion du 14 avril 1976, est consacrée spécifiquement à la formation socio-éducative en faveur des familles immigrées. Sont présents, l’ADATI, la PMI, les centre sociaux, la DASS, la CAF ; l’APTIRA est absente. Pour la formation linguistique en français, deux cours pourraient être mis en place en octobre 1976 , à Angers et Cholet. Les GRETA pourraient assurer des cours : vie familiale, vie quotidienne, santé. On estime souhaitable aussi une formation linguistique en langue d’origine (pour les femmes du Maghreb et turques).

En août 1978, l’ADATI fait ce constat :

Population nouvellement arrivée sur le département, les femmes immigrées sont souvent dans une situation plus dure que celle des travailleurs, bien que leurs problèmes ne peuvent être isolés de ceux auxquels sont confrontés leurs maris. Cependant, en tant que femmes et en tant qu’étrangères les femmes Immigrées sont déracinées, coupées de leur pays, de leurs traditions et exposées à l’incompréhension, aux préjugés, à l’hostilité d’une société dont elles ne connaissent pas les règles.

On souligne trois handicaps de ces femmes : leur jeune âge, leur origine rurale, leur non-scolarisation.

Cerner les demandes des femmes

Les associations proposent à ces femmes des cours d’alphabétisation en français, ce qui correspond à un besoin Lien vers témoignages Mais elles se rendent compte que ces cours n’intéressent pas toutes les femmes. A Cholet (octobre 1977), on constate que le cours n’a intéressé « qu’une élite ». A Angers, une étudiante en sociologie, rapporte, au début de son rapport de stage, son expérience.

Elle vient de faire quatre années d’alphabétisation, la dernière consacrée aux femmes est :

bien complexe à analyser et quelquefois difficile à vivre […] En effet, les difficultés pour alphabétiser sont grandes. Les femmes manquent de motivations et paraissent ne pas faire beaucoup d’efforts pour apprendre régulièrement. La fatigue, les enfants, expliquent entre autre l’absentéisme. Faut-il structurer les cours ou laisser libre la conversation au cours d’une tasse de thé ? Faut-il amener les femmes au centre social le plus proche, et leur proposer des cours collectifs ou aller à leur domicile ?

Le retour à Cholet sur une expérience au centre social sur une rencontre hebdomadaire proposée aux femmes permet de repérer des situations un peu compliquées. Difficulté (aux yeux des organisatrices) pour faire cohabiter Marocaines et Turques. Attitudes différentes des femmes, certaines intéressées par la culture, le tricot, d’autres pas. Les unes veulent un cours structure, d’autres « continuer comme ça ».

Les « monitrices » semblent elles-mêmes partagées.

Une proposition volontariste

A Cholet, quatre françaises ayant participé à une première expérience se réunissent : Priorité à l’alphabétisation (sur les travaux manuels), « l’ADATI a d’abord un rôle de promotion des femmes en vue de leur ouverture sur l’extérieur pour une meilleure prise en charge de leurs difficultés par elles-mêmes. Conditions du démarrage : un groupe de « femmes françaises bénévoles qui acceptent de se rendre disponible régulièrement et qui partagent les objectifs que nous définirons ensemble ».
« Un groupe de femmes immigrées suffisamment motivées qui s’engagent également pour une certaine régularité dans leur participation ». Un lieu : Centre social de la Haye ? Nécessité d’une formation de base pour les femmes françaises. Réunions une fois par semaine. Le nouveau système se met en place en 1977-1978.

Une approche au plus près du terrain

Une étudiante en sociologie de la Catho mène en 1977-1978 une enquête, avec l’aide de l’ADATI, sur « La femmes immigrée musulmane ».

(illustration – couverture du mémoire)

Les problèmes de langage sont [, pour Marie-Odile Durand,] les plus importants ou du moins la clé de beaucoup d’autres difficultés.
Cette « communication bloquée » – avec le personnel des centres sociaux ou les autres femmes –provoque un isolement social et psychologique difficile à surmonter, comme le reconnaît une femme interrogée sur deux. Elle entraîne encore d’énormes difficultés d’insertion dans la vie pratique du pays d’accueil (comment remplir des papiers administratifs, faire les courses, ou expliquer au médecin la maladie d’un enfant si l’on ne peut s’exprimer que par quelques mots.
L’importance des problèmes linguistiques[, souligne Mme Durand,] met en évidence la nécessité d’une alphabétisation solide et efficace. Les conditions de vie de la femme immigrée seraient tout autres si celle-ci pouvait s’exprimer verbalement. Elle pourrait alors s’informer sur les modes de vie français, ce qui lui permettrait de gagner de l’indépendance vis-à-vis des problèmes administratifs et économique, mais aussi de retrouver une autonomie qu’elle avait certainement au sein de sa communauté familiale.

(Extrait de l’article du Courrier de l’Ouest, 31 décembre 1978)

L’intérêt du travail de Marie-Odile Durand dépasse largement la question de l’alphabétisation : il aborde les questions des contacts culturels, de la vie quotidienne. (Pour le consulter cliquez ici (lien vers archives privées)).

Jean-Luc Marais
docteur en histoire et maître de conférences honoraire à l’Université d’Angers.

[1] Sur les actions de l’ADATI – ADML, fonds ADATI, 247 J 17.