Lien PDF de la page

Jeunesse issue de l’immigration et jeunesse immigrée (années 1970-1980)

La politique de l’immigration vise à faire venir en France des hommes adultes. Mais rapidement par le regroupement familial ils sont rejoints par leurs enfants ou donnent naissance à des enfants en France. La scolarisation de ces enfants est assurée, mais ces enfants vivent dans deux cultures, celle de leur famille, celle de la jeunesse. Rapidement, cette situation est créatrice de questionnements, qui malgré le renouvellement des générations, durent jusqu’à aujourd’hui.

 

Les jeunes et leurs problèmes

Ces jeunes doivent choisir une filière de formation. Mais ont-ils le choix ? Sont-ils informés ? Les permanents de l’ADATI signalent en 1978-1979 qu’ils reçoivent des fils et filles de travailleurs immigrés, pour des informations sur l’orientation scolaire, sur le premier emploi, l’obtention d’une première carte de travail, impossible pour ceux arrivés après l’âge de 15 ans en France. On note aussi, dans ces mêmes années, « les difficultés des jeunes filles maghrébines avec leurs familles », et plus généralement, « les conflits entre adolescents et parents maghrébins »1.

Dans les rencontres entre jeunes de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et jeunes immigrés, ces derniers évoquent une orientation scolaire qui ne les satisfait pas :

Les immigrés sont orientés vers les CAP, on juge sur la nationalité et non sur les possibilités et pas vers le CAP de notre choix. J’ai fait ce qu’ils ont voulu. Je voulais faire soit menuiserie, soit sanitaire. Il a réussi à me convaincre en me disant que si je le faisais je ne trouverai pas de boulot. J’ai fait maçonnerie parce que je voulais rester en France.

« J’ai fait une demande à Bull, refusé parce qu’ils n’embauchent pas les immigrés. Après le test, j’ai reçu une lettre de Bull «Il n’y a pas de poste à votre qualification » mais ils demandent toujours un peintre »2.

Un autre comportement

Dans la décennie 1970, les parents et les jeunes sont persuadés que leur présence en France est provisoire. Les pères, qui ne veulent pas se faire remarquer, imposent à leurs fils le même comportement : on est là de passage, « on ferme sa g…. » Mais les jeunes, au contact de leurs camarades français, ne sont pas forcément prêt à baisser la tête. Ce sont les jeunes Portugais qui les premiers s’expriment. Insérés dans le réseau catholique, ils sont invités à rejoindre la Jeunesse ouvrière chrétienne, qui leur offre un cadre militant, un vocabulaire, une formation.

En février 19703, la presse rend compte d’une réunion à Angers de « jeunes travailleurs », en fait de jocistes, sous le titre : « L’ASSEMBLEE DES JEUNES TRAVAILLEURS DENONCE L’ABSENCE DE SOUTIEN AUX JEUNES TRAVAILLEURS IMMIGRES » .

Voici ce qu’on y a entendu :

….un fait affligeant : la non-intégration effective des jeunes immigrés dans la vie de notre région. Ils sont mal logés, se voient attribuer les travaux les plus pénibles, n’ont aucun moyen d’avoir une formation professionnelle ou d’acquérir des diplômes qui leur permettraient de travailler dans leur pays. Le monde des loisirs même nous est en partie fermé, disent les jeunes immigrés présents.

Nous voudrions être acceptés, comme les autres,

Que l’on cesse de nous prendre pour des êtres inférieurs,

Nous demandons qu’on nous aide à lire et à parler convenablement le français …. 

Comme généralement dans les mouvements de jeunes, les archives sont rares. Trois ans plus tard à Angers, la JOC mène une action avec de jeunes magrébins, autour de deux actions : une information sur la circulaire Fontanet avec un militant syndicaliste, une action contre un café qui refuse de servir des immigrés. On évoque aussi le problème du logement des jeunes : refus de logements, et conditions de vie dans les foyers SONACOTRA. Pour cette action, une lettre est préparée et envoyée au préfet, au maire, aux députés. Le président de la JOC, Daniel Salé, la présente ainsi : en permettant aux jeunes travailleurs immigrés de s’exprimer sur leurs conditions de vie et de travail, et en soutenant leur action, la JOC veut promouvoir l’élargissement des libertés et obtenir les mêmes droits pour tous » (juin 1973). La lettre est signée par 64 jeunes travailleurs immigrés d’Angers et soutenue par 50 jeunes travailleurs français.

Juin 1975 : la JOC organise un rassemblement « Emigré, ne reste pas isolé ! », pour « les jeunes du monde entier ». Le thème est assez vague : « Tu es invité avec tes copains, pour partager ce qu’on vit, pour dire ce qu’on a déjà fait pour que cela change, pour dire aux copains ce que l’on veut, pour agir avec les copains français et immigrés ». Le tract est partiellement bilingue. Un an plus tard, même appel, prenant comme thème le problème des cartes de travail, et un appel , « Tous unis, Français et immigrés », à un rassemblement le 15 mai4. (image ici du recto verso)

Il faudrait mieux saisir, à travers une enquête plus poussée, cette « conscientisation » des jeunes immigrés, les contacts entre jeunes au travail et étudiants plus politisés, qui va aboutir quelques années plus tard à la marche des beurs.

En mars 1980, l’assemblée générale de l’APTIRA aborde cette question de la deuxième génération. (Voir Courrier de l’Ouest du 17 mars 1980)

En décembre, la même association aborde de nouveau la question dont elle fait un thème prioritaire : « La  « deuxième génération » , cette génération d’immigrés nés en France [sic] ou arrivés très jeunes qui vivent des problèmes socioéconomiques et sociaux spécifiques, souvent motivés par l’échec scolaire, et développent une nouvelle culture en confit avec la culture française comme avec la culture parentale. C’est vers ces immigrés de la deuxième génération que l’A.P.T.I.R.A. va aussi se tourner désormais : car ce sont eux sans doute, qui on aujourd’hui le plus besoin d’aide ». Analyse de journaliste qui mérite un décryptage, entre description du réel et création d’images appelées à un long avenir !

Jean-Luc Marais
docteur en histoire et maître de conférences honoraire à l’Université d’Angers.

 

1 Rapports d’activité de l’ADATI, ADML, 247 J 3.

2 Archives de la JOC, doc. sans date (1976-1979), Archives diocésaines, W 89.

3 Courrier de l’Ouest, 2 février 1970.

4 Archives de la JOC, Dossier Immigrés, 4 K 120 (Archives diocésaines).