La mobilisation étudiante de 1980
Les étudiants des années 70 sont prompts à réagir contre des mesures politiques qu’ils désapprouvent, ainsi que par solidarité avec leurs camarades. Dans le contexte de la politique de « normalisation générale de l’immigration étrangère décidée par le gouvernement » (circulaire Bonnet, 12 décembre 1977), les étudiants d’Angers sont en janvier 1980 parmi les premiers à réagir contre la menace d’expulsion de deux d’entre eux. Pendant 65 jours, ils font pression sur le préfet, et obtiennent, provisoirement, gain de cause.
Mai 1979, création à Angers d’un comité pour l’abrogation de la circulaire Bonnet.
Il y a alors à Angers 800 étudiants étrangers : 500 à l’Université d’Angers (dont un quart de Marocains), 300 à l’UCO (mais dont 270 ne sont là que pour un an). Les étudiants marocains sont organisés (UNEM). Ils représentent 25% des étudiants étrangers de l’Université d’Angers..
Les 7 et 8 janvier 1980, deux étudiants marocains à Angers reçoivent un avis de « refus de séjour » [1] : c’est l’application de deux points de la circulaire Bonnet du 12 décembre 1977 : changement d’orientation après échec, absence de ressources. Les deux étudiants ont commencé un cursus en pharmacie ( l’un pendant trois ans, l’autre pendant 6 ans, et sont inscrits en faculté des sciences, le premier en 1e année de 1er cycle, le second en 2° année de 1er cycle) (article 11 – Ouest France, 10 janvier 1980).
Tract du Comité Angevin de Défense des Etudiants Etrangers – février 1980.
Le 8 janvier, après une distribution de tracts dans les RU, se tient une assemblée générale. Le lendemain : les facultés de sciences, lettres, droit, l’IUT, votent la grève générale, une manifestation n’est pas reçue par le préfet, et la présidence de l’université est occupée. Le 10, sitting devant la préfecture, les CRS dégagent les manifestants (articles 11 et 12 – Ouest France, 10 et 11 janvier 1980). Le 11 janvier, blocage des partiels, nouvelle manifestation (les étudiants sont rejoints par des formations politiques), une délégation est reçue par le préfet : ce sera la seule fois. Il précise que le recours au tribunal administratif suspendrait sa décision. Le 14 janvier, 12 étudiants marocains commencent une grève de la faim. Le président de l’Université refuse de demander une audience avec les étudiants au préfet, il ne veut pas être pris en otage, « Il faut que nous ayons les coudées franches ». Le 15, le théâtre est occupé (comme en 1968) puis évacué manu militari. Le 16, nouvelle manifestation dispersée par les forces de l’ordre. Le président est prêt à demander une audience au préfet si les étudiants évacuent les locaux universitaires (article 13 – Ouest France, 17 janvier 1980) . Le 18 janvier, nouvelle manifestation (4000 manifestants selon Libération, 3000 selon Le Monde et Ouest-France) (articles 14 et 15 – Ouest France, 18 et 19-20 janvier 1980) . Le 19 (après évacuation dans la nuit de la présidence de l’Université), après avoir rencontré le préfet (sans les étudiants), communiqué de la présidence de l’université et des doyens :
ils « s’estiment fondés à assurer que l’engagement moral pris par l’université en inscrivant les deux étudiants marocains concernés par les mesures de police générale prises par M. le Préfet sera honoré, à savoir qu’ils pourront poursuivre leurs études et se présenter, dans des conditions normales, aux examens de fin d’année universitaire. Cette assurance vaut pour l’ensemble des étudiants étrangers actuellement inscrits à l’Université ».
Les recours des étudiants sont déposés et repoussent à la fin de l’année universitaire la décision ultime. Le lundi 21, grève des cours et grève de la faim sont arrêtées. Le 23, le comité de coordination se transforme en Comité angevin de défense des étudiants étrangers, qui publie une brochure (ci-dessous) Les deux étudiants obtiennent leur récépissé (provisoire d’autorisation de séjour) le 29 janvier.
Le comité analysant son action explique sa réussite par son pragmatisme : un but précis, les cartes de séjour :
« on savait très bien que l’Université d’Angers, à elle-seule, ne ferait pas annuler la circulaire Bonnet, et c’est pourquoi le mouvement a toujours concentré toutes ses forces contre la Préfecture pour satisfaire nos revendications ponctuelles, replacées dans leur cadre d’ensemble. »
Méfiant envers toute récupération, il a aussi réunit un large soutien (5000 signatures), politique, syndical, et de personnalités de tous horizons. Le soutien le plus commenté furent celui de l’évêque Jean Orchampt, rendant visite aux grévistes de la faim (installés dans les locaux de l’aumônerie des étudiants), et du pasteur.
Notons que la promulgation de la loi Bonnet sur l’entrée et le séjour des étrangers le 10 janvier 1980, avait attiré l’attention de l’opinion sur cette question sensible.
Bilan de la première phase
En fait, les étudiants n’ont rien obtenu de plus que ce que le préfet avait envisagé dans son unique rencontre avec eux : les deux étudiants peuvent terminer l’année universitaire. Mais il n’y pas eu de communiqué du préfet, seulement une déclaration du service des étrangers assurant que tous les étudiants ayant des récépissés provisoires recevraient une carte de séjour pour l’année.
D’ailleurs, les étudiants du comité de coordination devenu CADEE parle de « la faiblesse de nos acquis […] Contre les lois anti-immigrés, c’est donc une mobilisation nationale qu’il s’agit de mettre en place ». Les étudiants marocains rappellent « qu’en dépit des assurances données, leur situation demeure précaire ».
La « lutte » a surtout obligé la présidence de l’Université à abandonner sa position de départ : cela ne relève que du préfet. Sous la pression des étudiants et des Doyens, l’université a affirme que selon les règles de l’université, les deux étudiants sont régulièrement inscrits (ce que le préfet ne croit qu’à moitié). Si la présidence ne demande une audience que tardivement, auparavant les contacts entre préfecture et université sont téléphoniques. Le texte final repose sur la confiance que l’Université fait au préfet.
Le préfet n’appuie son refus de séjour que sur l’absence de ressources. Le recours des étudiants devant le tribunal administratif repousse à juin la décision ultime, ce qui leur permet de passer leurs examens.
Deuxième phase
« Une procédure d’expulsion engagée contre un étudiant étranger : Vers une reprise du mouvement à l’Université d’Angers ? » (Courrier de l’Ouest, 9 février 1980)
Un des deux étudiants vient de recevoir un avis d’expulsion ! Emotion chez les étudiants : le préfet durcit sa position ? L’Université a accepté des garanties imprécises ?
Cette procédure d’expulsion avait été évoquée comme une possibilité par le préfet début janvier, qui expliquait que cela permettrait à l’étudiant de passer devant une commission de recours, et donc d’avoir un long délai avant l’éventuelle expulsion. Le bruit court que l’étudiant a accepté cette procédure, ce qui est démenti par son avocat. Préfet et président affirment qu’il n’y a rien de changé. L’étude du dossier de la préfecture irait plutôt dans ce sens, la stratégie du préfet, on le verra plus loin, étant autre.
Les manifestations reprennent, moins suivies (jamais plus de 700 manifestants), les grèves (mais moins générales), les occupations de facultés (surtout de la faculté des lettres), et à parti du 28 février, une grève de la faim de 15 (puis 17) étudiants (dont un marocain), à la faculté de droit.
Le mouvement est plus complexe : l’objectif reste le même, mais préfecture et présidence de l’Université ne répondent plus, considérant qu’il n’y a rien de plus à dire. Apparaît aussi un thème plus large, « respect des droits de l’homme et notamment ceux des immigrés ». Le contexte est plus favorable, grève à Nantes, rencontre nationale (prévue depuis janvier) à Angers. A Angers, des secteurs non mobilisés en janvier rejoignent le mouvement (école d’Agriculture, étudiants en psychologie de l’UCO).
Mais contre le mouvement, il y a d’abord les vacances (à son démarrage), puis les partiels, puis le chantage à l’année universitaire incomplète qui ne serait pas validable, ou qui imposerait une prolongation des cours sur la période des vacances. A quoi s’ajoute la mobilisation de l’extrême-droite (professeurs et étudiants) contre les grèves, les occupations, et la division des étudiants.
Le 3 mars, la reprise des cours est votée à une petite majorité dans les diverses UFR. Le 15, après une rencontre avec le préfet, le président de l’Université rappelle les décisions déjà prises. Les grévistes de la fin y voient du nouveau (les étudiants concernés par les mesures préfectorales pourront aller jusqu’au bout de l’année universitaire, 2e session comprise). Ils arrêtent leur grève de la faim au 17e jour. La mobilisation des étudiants angevins a été forte en janvier. En revanche, elle est faible lors du mouvement national de mai 1980 sur le même objectif.
La mobilisation des étudiants angevins a été forte de janvier à mars. En revanche, elle est faible lors du mouvement national de mai 1980 sur le même objectif.
Victoire provisoire
A court terme, rien n’était gagné, puisque le tribunal administratif n’annula pas les arrêtés du préfet : les deux étudiants durent quitter le territoire.
Pendant tout le mouvement, préfet, université, étudiants n’évoquent que l’année universitaire en cours. Mais le préfet voit plus loin. C’est sur le moyen terme qu’il faut agir, en utilisant le nouveau texte sur les étudiants étrangers (décret Imbert du 31 décembre 1979) qui prévoyait une commission nationale d’inscription pour les étudiants étrangers, et pour les étudiants déjà en France, un retour devant cette commission lorsqu’ils changeaient de filière.
Pendant les évènements de janvier, le préfet lance la police sur la piste des étudiants qui ne seraient pas en règle : le commissaire de police d’Angers transmet le 29 janvier :
« La liste des étudiants étrangers dont l’inscription en faculté ou dans les écoles privées d’Angers ne paraît être qu’un prétexte pour se maintenir sur notre territoire.
Cette liste a été établie à partir du fichier tenu au commissariat central d’Angers. Elle ne présente pas la totalité des cas. De nombreuses prorogations de titres de séjours auraient été accordées par le Préfet entre 1975 et 1978, sans dépôt de demande ni enregistrement au bureau des étrangers du Commissariat, qui pour cette raison ne dispose d’aucun renseignement sur leur situation actuelle [annoté était-ce normal] Il a été établi sur l’ensemble des étudiants étrangers inscrits dans les deux universités et dans les écoles que la colonie marocaine était celle qui présentait le plus grand nombre de cas suspects ;
Il semble que cette situation se soit développée à la faveur de la facilité avec laquelle tout étrangers peut s’attribuer le statut d’étudiant pour s’incruster en France et échapper aux contrôles plus rigoureux sur l’immigration des travailleurs.
C’est apparemment le cas pour la plupart des prétendus étudiants qui figurent sur la liste jointe. Incapables de poursuivre des études sérieuses et cohérentes, ils passent d’une faculté à l’autre pour prolonger leur séjour sur notre territoire, ne subsistent en général que par des bourses modestes qu’ils complètent souvent au moyen d’expédients, tels que la pratique d’un travail clandestin ou la vie en commun avec une jeune amie subvenant à leurs besoins ».
Après examen avec les autorités universitaires (le 7 février), sur les 14 signalés, seuls 4 ne sont pas en règle. Une nouvelle réunion a lieu le 19 mars, avant sa tenue, le préfet Robert précise ses souhaits :
« Directive très précise et ferme : Ne pas chercher la bagarre. Mais pas question de transiger sur les inscriptions qui ne seraient pas conforme à la loi sur le séjour des étudiants étrangers. Faire part de cette consigne aux membres autres qu’universitaires de cette réunion. Je suis très surpris, même si cela nous facilite les choses, qu’il y ait qu’une quinzaine de cas ».
Il demande aussi à la direction départementale du travail des informations sur les éventuels emplois (ou absence d’emplois) des étudiants suspects.
Le 25 avril, il envoie au président de l’Université « la liste d’un certain nombre d’étudiants qui seraient susceptibles de faire l’objet d’un refus de séjour en cas d’échec à leur examen lors des sessions de 1980 ». Suivent des listes : 2 étudiants bénéficiant d’une dérogation (triplent la 1° année de Deug) : ils ne pourront s’inscrire dans une nouvelle section sans autorisation de la commission nationale ; 9 étudiants susceptibles d’un refus de séjour en cas d’échec, ne pourront s’inscrire sans examen de la commission nationale, 3 étudiants travaillant clandestinement et ayant épuisé leurs droits à inscription.
« Je vous demande de vérifier une nouvelle fois les conclusions établies. [Je] souhaite aussi qu’à la prochaine rentrée , les modalités d’inscription des étudiants étrangers soient strictement appliquées.(…)
Je vous rappelle que vous m’avez donné votre accord pour organiser les examens de la [deuxième] session plus tôt qu’habituellement » .
Téléphoniquement, le président confirme au chef de cabinet du préfet : « Etudiants étrangers, date des examens . Les dates des examens de septembre seront fixées de telle manière qu’ils aient lieu avant le retour de vacances du » gros des troupes » ».
En octobre, le préfet rappelle au directeur départemental des polices urbaines :
« Compte tenu des résultats aux examens et plus spécialement lorsqu’ils sont favorables, j’insiste pour que les directives contenues dans ma lettre du 17 octobre dernier, notamment à propos de la vérification des ressources financières, soient strictement appliquées ».
L’idée sous jacente est claire : à défaut de pouvoir « coincer » les étudiants par leur travail, on le fera en raison leurs ressources insuffisantes. Le préfet applique avec zèle les consignes du ministre de l’Intérieur, télégramme du 7 août :
Votre action personnelle devra donner aux dispositions de la loi [10 janvier 1980] toute l’efficacité que j’en attends.
Les renseignements généraux informent le 23 octobre 1980 le préfet de la reprise d’activité du CADEE, qui par affichage alarme sur la situation de 18 étudiants étrangers s’ils échouent à la troisième année .de DEUG. Ce comité est selon la police aux mains des étudiants marocains.
Jean-Luc Marais
docteur en histoire et maître de conférences honoraire à l’Université d’Angers.
[1] Sources : ADML 1018 W 63, et presse locale.