1945-1965. Le Maine-et-Loire à l’écart du grand mouvement d’immigration de main d’oeuvre

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De 1945 à 1965, le Maine-et-Loire, comme tout l’Ouest, ignore l’immigration. A partir de 1946, le Maine-et-Loire connaît un solde migratoire négatif jusqu’au recensement de 1968. Les besoins de main d’œuvre sont satisfaits par le glissement de la population du secteur agricole, où la main d’œuvre était surabondante et sous employée, aux secteurs de l’industrie (mais l’emploi industriel ne commence à croître qu’en 1962), du bâtiment, des travaux publics et au secteur tertiaire. Les actifs agricoles passent de 102 000 en 1954 à 49 000 en 1975 ! Il n’y a pas besoin de faire venir massivement de la main d’œuvre étrangère.

 

Dans ces conditions, la population étrangère est très peu nombreuse dans le département, et stagne. Comme la majorité de ces étrangers ne sont pas là pour le travail, il est logique que leur nombre ait moins diminué que dans l’ensemble de la France : alors qu’à l’échelle nationale, la population étrangère a été divisée par deux de 1931 à 1946, en Maine-et-Loire, elle passe de 3 460 personnes en 1931 à 2 589 en 1946. Mais après 1945, elle augmente beaucoup moins rapidement que dans le reste de la France (comme dans tout l’Ouest armoricain et ligérien).

Cette situation va durer pendant 20 ans, le bas de la courbe étant observé en 1956, avec 2 076 étrangers. Mais cela correspond aussi à une situation économique difficile localement dans les années 50 : crise de l’industrie angevine, diminution globale du nombre d’emplois secondaires.

En savoir plus : des chiffres Maine-et-Loire (1 – Nombre d’immigrés et d’étrangers)

On peut estimer la proportion de population étrangère en Maine-et-Loire à 0,52% en 1946, 0,43% en 1954, 0, 62% en 1961 (pour la France à la même époque, 4,4%, 4,1%, 4,7%)

La population étrangère de ces années est la trace d’une immigration ancienne, comme le prouve la proportion relativement faible d’hommes, la place des femmes et des enfants.

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En savoir plus : Des chiffres Maine-et-Loire (3 – Répartition des étrangers par catégorie)

A partir de 1963, la remontée de la proportion d’hommes révèle l’apparition de la nouvelle immigration de main d’œuvre, d’abord quasi exclusivement masculine.

Les quatre groupes principaux sont pour l’essentiel arrivés avant la guerre : Polonais, Belges, Espagnols et Italiens. Mais le vieillissement ( les décès), et les naturalisations érodent les effectifs de groupes qui ne se renouvellent pas : Polonais et Belges passent de 31% à 15% de 1949 à 1963. Seuls Espagnols et Italiens se maintiennent, avec la reprise d’une petit courant migratoire : ces deux groupes passent de 35% du total en 1949 à 36,5 en 1963.

 

Belges Polonais Espagnols Italiens
1936 306 646 348 763
1949 339 501 616 510
1955 274 258 494 410
1959 237 219 517 486
1961 249 233 542 525
1964 207 194 642 450

Les nombres en gras intègrent les réfugiés.
Les demandes de regroupement familial sont essentiellement le fait d’Italiens et d’Espagnols.

Les personnes ayant le statut de réfugiés sont au nombre de 226 en 1949 (167 espagnols et 63 russes), 197 (144 Espagnols, 53 russes) en 1951, 241 en 1957, 233 en 1961 (dont 136 Espagnols), 274 en 1964 (112 Espagnols, 28 Russes, 50 Polonais, et 28 Portugais, mentionnés cette année là pour la première fois).

On peut noter la présence d’un groupe importants d’Américains, en raison de la base de l’OTAN de Montreuil-Bellay : ainsi, en 1958, à côté des militaires, qui ne sont pas comptabilisés par les services français, on trouve des civils (110, essentiellement des épouses de militaires, et 147 enfants de moins de 16 ans). L’effectif total de la base monte jusqu’à 584 personnes en 1962 (essentiellement Américains, mais aussi des Polonais, et autres).

Parmi les autres étrangers, on trouve de nombreux étudiants (britanniques, américains, iraniens, chinois, laotiens, syriens, et marocains) , et des religieuses (irlandaises, portugaises) de congrégations angevines implantées également à l’étranger. Les Allemands, 197 en 1949, ne sont plus que 63 en 1958.

En 1949, 59% des étrangers adultes sont actifs : les plus nombreux sont les « ouvriers d’usine, d’atelier, de chantier » : 59% (les trois quarts sont Espagnols, Italiens, Polonais), les ouvriers agricoles (20%) – essentiellement dans l’arrondissement de Saumur – à qui on peut ajouter les « fermiers et métayers » (5,8%). Viennent ensuite les employés (8,8%), et les commerçants et patrons (4,9%). Le nombre d’étrangers ayant une carte de commerçant ou d’artisan (obligatoire) varie peu : 68 au 31 décembre 1949, 57 au 31 décembre 1958. Des Polonais sont retraités des mines.

Quelques nationalités apparaissent, jusque-là absentes :

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En savoir plus : Des chiffres Maine-et-Loire (3 – Répartition des étrangers par catégorie)

Les Algériens, citoyens français, ne sont pas recensés par la préfecture. Les Vietnamiens, une quarantaine en 1955, sont ensuite moins nombreux. Ne semblent s’installer que ceux qui sont en famille. Un petit groupe de Yougoslaves est présent en 1959-1964, majoritairement des réfugiés politiques, mais fond dans les années suivantes.

Les Portugais, présents dès 1949, progressent peu avant 1961 (on note cependant que si le nombre d’hommes est stable, des femmes les rejoignent, et même quelques enfants). La forte progression se fait à partir de 1963. Dès 1960, des Portugais déposent des dossiers de regroupement familial*.

Les Tunisiens et Marocains dépassent la dizaine en 1955, la vingtaine en 1958. Les effectifs de Tunisiens tournent autour de la trentaine jusqu’en 1964, comme ceux des Marocains. A Angers, deux sont là depuis l’Avant-guerre, mais 12 sont arrivés récemment (1956-1958), dont deux de Maharès. Mais à partir de 1963, les Marocains dépassent les Tunisiens ; la première femme marocaine est mentionnée en 1959, elles sont 7 en 1964. En 1963, 34 Marocains arrivent en Maine-et-Loire, en 1964, 45 (et 32 Tunisiens).

Si peu nombreux, les étrangers n’attirent guère l’attention des autorités ni des Angevins. Le premier dossier de regroupement familial déposé en 1960 par un Portugais en Maine-et-Loire donne quelques informations sur leurs conditions de vie.

A. M., né en 1920, est entré en France en 1957. Il est champignonniste à Chênehutte-les-Tuffeaux, il gagne entre 50 000 et 60 000 francs (anciens francs) par mois, sa femme et ses deux enfants (14 ans et 8 ans) sont déjà en France. Leur logement se compose de deux pièces, l’une troglodyte, et une autre séparée de la première. Aucun membre de la famille ne parle français. « La situation de cette famille et son installation n’ont rien de critique. Beaucoup de familles françaises sont encore plus mal logées et ont des ressources plus limitées. Famille sans histoire jusqu’à ce jour, assez bien considérée », estime l’assistante sociale.

L’ONI est favorable au regroupement.
D’autres dossiers de ces années confirment que le logement par l’employeur est fréquent (à Turquant, à Bécon, à Longué).

En janvier 1965, le préfet de Maine-et-Loire répond à une enquête ministérielle sur l’emploi des étrangers ( voir Document 1).

Jean-Luc Marais,
docteur en histoire et maître de conférences honoraire à l’université d’Angers.

[1] ADML, 257 W 101