Le logement dans les années 1960-1975
Il n’y a pas eu de bidonvilles en Maine-et-Loire, mais les autorités se rassurent en pensant que les entreprises assurent le logement de la main d’œuvre étrangère qu’elles emploient. Or ces logements sont rudimentaires. Pour les familles, on utilise des immeubles en attente de démolition pour raison d’insalubrité.
(Lien de téléchargement de l’article en format PDF)
Le logement des étrangers ne devient un « problème » qu’au début des années 1960. Jusque là, on ignore la question. Les entreprises qui font venir la main d’œuvre, essentiellement des hommes seuls, se chargent en principe de loger cette main d’œuvre. C’est à cette époque qu’en France on commence à s’inquiéter des « bidonvilles » nés autour de Paris et de Lyon. Comme il n’y a pas de bidonvilles en Maine-et-Loire, on se rassure facilement. Les pouvoirs publics en Maine-et-Loire se sentent peu impliqués, comme en témoigne un rapport préfectoral de 1965. (Voir document 1)
La faiblesse des effectifs salariés étrangers ne justifie pas un plan d’accueil et d’hébergement au niveau du département ; les sociétés utilisatrices prévoyant et assurant généralement les conditions matérielles de leurs employés. A noter cependant le projet du syndicat patronal du bâtiment : ériger un foyer des ouvriers du bâtiment devant compter 300 chambres dans la ZUP Nord d’Angers.
Ce foyer sera inauguré en octobre 1968, construit par la Sonacotra, présenté dans la presse comme un foyer de jeunes travailleurs, avec 288 chambres [1]
La situation réelle est cependant moins bonne, comme le montrent les témoignages recueillis et les enquêtes de l’administration elle-même.
Les premières enquêtes ne s’intéressent qu’aux Algériens (parfaite illustration de l’origine de la mise en place de la politique concernant les populations immigrées : la prise en charge de la « population musulmane » française). En mai 1964 apparaît le premier état trimestriel sur la population algérienne en Maine-et-Loire (effectifs, logement, activités). A partir du deuxième trimestre 1966, ces tableaux intègrent les catégories suivantes : Algériens, Harkis, Tunisiens, Marocains, Etats noirs (sic) [2]. L’abondance apparente des données n’est pas une garantie de leur fiabilité. Il ressort que pour les Algériens (1964-1970), les ménages sont tous logés en HLM, soit une proportion de la population algérienne ainsi logée de 25 à 30%. Les individus « célibataires » en logement insalubre sont 39 % en 1964-1965, 23% en 1968-1969. Ces logements insalubres sont des garnis et des hôtels. Le reste de la population masculine se loge elle-même (pour 1/3) ou est logé par l’employeur, pour deux tiers : les statistiques considèrent ces logements par l’employeur comme convenable, ce qui inexact. A partir de 1966, les données intègrent les autres ressortissants du Maghreb : on voit alors que le nombre de « célibataires » mal logés augmente (Marocains, Tunisiens), mais aussi que le nombre de familles mal logées est désormais supérieur au nombre de familles bien logées (1969). Les nouvelles familles arrivées ne bénéficient pas encore de l’offre HLM dont bénéficiaient les Algériens. Les statistiques ignorent les ressortissants portugais jusqu’en 1971.
Sur 34 dossiers de demande de regroupement familial de 1969 à 1971 concernant la ville d’Angers, 17 demandeurs (la moitié) sont logés par la ville d’Angers dans des immeubles anciens en attente de démolition, 9 sont logés dans des HLM, 4 par leurs patrons, et 4 dans d’autres lieux [3]. Deux sont logés dans la toute nouvelle ZUP de la Roseraie : avenue Jean XXIII, et voie 4. (Lien vers MO Durand)
1970 : adoption de la loi Vivien sur l’habitat insalubre
A la même époque, une enquête de 1971, à la demande du ministère de l’Intérieur, est menée sur les bidonvilles et les logements insalubres occupés par les populations immigrées [4]. On apprend qu’il n’y a pas de bidonvilles à Angers et Saumur, mais des logements insalubres reçoivent à Angers 301 personnes : 27 familles regroupant 107 personnes, et 194 hommes seuls, 301 personnes au total de quatre nationalités (Algériens, Marocains, Tunisiens, Portugais) : on peut estimer que cela représente 20% de ces populations. Ces mal-logés sont regroupés en trois lieux. Les quartiers situés près de la Maine, où la ville a acquis en attendant de les démolir (projet République, projet voie sur berges) des immeubles anciens, où l’on trouve familles et célibataires. Des immeubles de ce type existent aussi faubourg Saint-Michel, rue du Cornet. La rue Bressigny est très souvent citée par les travailleurs migrants : en 1971, 71 célibataires, maghrébins, y sont logés. C’est essentiellement au 51 qu’un « garni » existe, ancien (en 1964, il existe déjà), propriété alors d’un ressortissant marocain installé depuis longtemps en France. L’immeuble sera fermé pour insalubrité en 1973 par arrêté préfectoral Sur ce marchand de sommeil, voir document 4. Enfin, le logement par les entreprises de bâtiment concerne lui aussi que des célibataires. Le plus ancien serait les « docks » des Etablissements Brochard et Gaudichet, lieu de stockage de matériel, quai Félix Faure, non loin du siège social de l’entreprise (rue de Bretagne), où des baraquements sont « réservés » aux célibataires (32 en 1971). L’entreprise Billard a installé des baraquements sur le lieu de travail, à la Roseraie (64 personnes, dont 21 Portugais) y sont logés en 1971. ⊕ A écouter : le témoignage d’A. Gourti sur le logement
Le foyer « Sonacotra » est ouvert : en 1973, un tiers de ses locataires sont étrangers (30 Tunisiens, 20 Marocains, 20 Algériens, 10 autres [5]
Jean-Luc Marais
docteur en histoire et maître de conférences honoraire à l’Université d’Angers.