La situation du logement après 1975

Peu à peu l’accès à l’habitat social en immeuble collectif transforme les conditions de vie. Une proportion croissante des familles de travailleurs immigrés y sont logées, bouleversant les habitudes familiales et les modes de vie. La mixité sociale des débuts se transforme en raison des évolutions divergentes des niveaux de vie. Des familles accèdent à la propriété. Les populations immigrées souvent à faibles revenus restent dans l’habitat social.

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En 1975, la situation s’est améliorée [1]. Pour les hommes seuls, des foyers ont été construits, à Angers (le second, à la Maître-Ecole, vient alors d’ouvrir) et à Cholet. A quoi s’ajoute le foyer Michelin de Cholet. La capacité de ces foyers « pour célibataires » (c’est le vocabulaire de l’administration) est mal connue à l’extérieur : selon les sources officielles, le foyer Michelin de Cholet a 150 lits ou 150 chambres, et selon l’ADATI, le foyer Sonacotra d’Angers a 256 chambres, alors qu’il s’agit de 128 chambres à 2 lits). « Le nombre de places -900- paraît suffisant, surtout pour les grands centres où une certaine désaffection se fait sentir en raison des prix et de la discipline exigée par la Sonacotra » estime le comité consultatif départemental d’action sociale au profit des travailleurs étrangers. Une statistique pour 1973 signalait qu’au foyer Sonacotra de la ZUP nord à Angers, il y a 1/3 d’étrangers et 2/3 de Français, et en octobre 1976, au foyer Sonacotra de la Maître-Ecole à Angers, il ya 5 travailleurs immigrés et 185 personnes diverses (et 14 places libres). On s’interroge au comité consultatif départemental : sur 844 places, 355 sont utilisées par des travailleurs immigrés[2]. Où sont passés les travailleurs immigrés ? On évoque leur logement dans des familles. On note aussi la location de meublés indépendants : «mode de logement très apprécié, économie, loyer partagé à plusieurs, indépendance, regroupement par ethnie et affinités». En octobre 1976, reste un seul problème, à Chateauneuf-sur-Sarthe : aux tanneries, deux dortoirs, deux dortoirs où les conditions sont déplorables selon un tract de la CFDT de novembre 1975 (tract en portugais et en turc) : un seul évier dans la cuisine, 6 chaises dans le séjour. En 1976, un foyer de 30 places est en construction, par un organisme d’HLM, le Toit angevin. Globalement, cette décrue du logement en foyers était la conséquence, pour l’essentiel, du développement de la politique de regroupement familial.  Voir le regroupement familial

La situation des familles s’est bien améliorée, sans être résolue. A Angers, des témoignages recueillis signalent des familles de travailleurs étrangers venant s’installer dans les logements qu’ils viennent de construire, dans le quartier de la Roseraie. (Voir carte Evolution de la population étrangère par quartier 1975-2006)

Les statistiques fournies au niveau départemental doivent être regardées avec prudence. En 1975, dans le département, selon un rapport du service des étrangers de la préfecture, 830 familles sont logées dans des HLM (le plus gros logeur 310, étant l’Office municipal d’HLM d’Angers (310 familles), suivi de l’Office municipal de Cholet (135 familles). Reste alors à loger 296 familles. Mais en 1975, une autre source (bureau de l’ADATI de Cholet) indique qu’il y a 250 (et non 135) familles logées en HLM à Cholet ! La récapitulation préfectorale est donc à revoir. Si l’on ajoute aux logements de l’office municipal de Cholet ceux d’autres collectifs à caractère social, 296 familles choletaises sur 450 à 500 seraient logées en collectifs sociaux. La réunion du groupe de travail logement d’octobre 1976 estime que 283 logements manquent (en fonction des demandes en instance), et que les programmes en cours et en projet devraient couvrir les besoins. La situation était satisfaisante à Cholet et Angers. Pour Angers, en 1978, sur 4528 étrangers, 2694 (603 familles) sont logés en HLM [3]. L’effort devra porter à cette date sur le Grand Angers.

1976 : fonds spéciaux pour le logement des immigrés : 0,2% du 1% patronal pour le logement

D’autres problèmes

La tension persiste cependant, car par le regroupement familial de nouvelles familles arrivent. Or l’Office HLM d’Angers, dans une lettre du 2 juin 76, précise qu’ « aucune suite n’est donnée aux demandes des travailleurs dont la famille est restée au pays d’origine » [4], règle qui n’avait pas été appliquée dans les années antérieures. Ce n’est que lorsque sa famille est sur place que le travailleur peut faire sa demande. Il faut donc que le travailleur trouve un logement autre pour obtenir l’autorisation de faire venir sa famille, et une fois celle-ci arrivée, dépose sa demande d’HLM.

La taille des familles est un critère essentiel pour obtenir un HLM. Les familles avec enfants sont prioritaires. A Cholet (fin 1975), les 250 familles logées en HLM ont 504 enfants de moins de 16 ans, soit les 2/3 des enfants étrangers de cet âge.

Ces familles généralement nombreuses disposent de logements relativement petits, donc surpeuplés : en 1979 à Angers, sur un échantillon de 29 familles, 14 sont en F4, avec en moyenne 6,3 personnes, 15 en F 5, avec en moyenne 8,3 personnes [5].

L’entrée dans ce type d’habitat était une forte rupture pour la grande majorité des familles. A l’habitat villageois sans étage et doublé de des liens familiaux intenses, succède brutalement un habitat en immeubles, sans contact avec la famille. Le personnel de l’ADATI de Cholet analyse les difficultés :

– accueil difficile pour les familles voisines dans les grandes cités : racisme.
– la vie en collectif exige une discipline (enfant, regroupement des familles nombreuse.
– l’inhabitude du confort : incidents fréquents lors de l’usage d’appareil électriques (chauffe-eau, chauffage au gaz)
– d’autre part difficultés à différencier les charges réglées avec le prix du loyer, et celles telles que le gaz et électricité à régler en plus [6].

Les rapports annuels de l’ADATI relèvent plusieurs fois (en 1978 et 1979) ces difficultés, mais en ajoutant que l’ADATI ne veut pas faire le gendarme, ni être le tampon entre organismes de logement et immigrés. Cependant, au début de 1982, l’ADATI d’Angers rencontre l’organisme HLM Le Toit angevin, « pour discuter des problèmes posés dans les cités par les immigrés ». La même année, l’office HLM d’Angers embauche conseillères sociales. Dans ces mêmes années, on souhaite que les familles étrangères ne soient pas regroupées, pour éviter le « repli sur elles-mêmes des communautés étrangères et les frictions sociales avec la population française ». Mais était-ce le souhait de la majorité des familles? Au début des années 1980, la question du logement se transforme en question des « quartiers ».

Jean-Luc Marais
docteur en histoire et maître de conférences honoraire à l’Université d’Angers.

[1] Note pour M le Préfet, 3 décembre 75, par 1er direction, 2e bureau, « Les étrangers en Maine-et-Loire – ADML, 1018 W 61,

[2] Compte-rendu du groupe de travail logement, réunion du 14 octobre 1976 – ADML, fonds ADATI, 247 J 6. (Cliquez ici pour accéder à ce document)

[3] Nombre des étrangers en HLM, fourni par M.-O. Durand, Femme et immigrée et musulmane, 1978. (Cliquez ici pour accéder à ce document)

[4] Rapport d’activité ADATI 1975-1976 – ADML, fonds ADATI, 247 J 3

[5] J. Brouard, La scolarisation des enfants immigrés dans la région angevine, 1979, p. 25.

[6] «Situation des travailleurs et des familles immigrées à Cholet au 31 décembre 1975» – ADML, fonds ADATI, 247 J 17 (cliquez pour accéder au document)