S’intégrer dans la vie française (1975-1985)

Dans les années 1970, l’intégration par le travail est facile, mais reste le quotidien : le contact avec les diverses administrations, la connaissance des rouages de l’administration. Et quand arrivent les familles, les problèmes se multiplient : logement, école, orientation scolaire, achats, etc. Comment les résoudre ? Où s’adresser.

 

L’enquête orale fournit de nombreuses informations sur les difficultés et les réussites des travailleurs immigrés dans leur intégration dans la vie française. Mais ces souvenirs sont estompés par le temps, ou approximativement datés. Les permanences d’accueil de l’Association départementale pour l’accueil des travailleurs immigrés (ADATI) (En savoir plus)  sont des lieux d’observation, qui par le nombre des personnes reçues, donnent une vision plus synthétique [1]. (Voir fiche sur Politiques publiques)

Les deux temps de la demande d’accueil

A sa création l’ADATI organise trois lieux d’accueil : à Angers (rue Bodinier, puis rue de la Roë, puis rue Saint-Exupéry), à Cholet (cité Bonnevay), à Saumur.

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Visiteurs aux permanences de l’ADATI.

L’originalité de la situation choletaise (forte activité contrastant avec le recul de l’accueil à Angers) est la conséquence de l’afflux de réfugiés du sud-est asiatique à partir de 1979, qui se concentrent sur Cholet et sa région (et dans une moindre mesure sur Saumur). L’ADATI retrouve ici sa fonction première : l’aide à l’accueil.

Les diverses nationalités ne font pas appel aux services de l’ADATI dans la même proportion.

1975-1976 Algériens Marocains Tunisiens Yougoslaves Espagnols Portugais Turcs Divers
Part (%) / population étrangère adulte 4,9 17,6 6,22 2,4 4,4 28,9 5,2 31,4
Part (%) / visiteurs de l’ADATI 5,6 36,4 5,3 1,4 1,6 13,1 37,6 9

 

1977-1978 Algériens Marocains Tunisiens Yougoslaves Espagnols Portugais Turcs Divers
Part (%) / population étrangère adulte masculine 9,5 27 10  0 0 35 7,9 8,4
Part (%) / visiteurs de l’ADATI 11,8 25 3,6 0 0 15,7 32 11

 

On note le recul rapide de la demande des Tunisiens, et dans une moindre mesure de la demande marocaine, le faible recours constant des Portugais (alors que leur poids est fort), l’apparition des réfugiés (catégorie « divers ») et la part toujours extrêmement forte des Turcs, qui s’explique sans doute par le système adopté pour les recevoir. A Angers, on reçoit les Turcs non pas individuellement, mais en groupes de 15 à 20 personnes : cela semble bien réussir. Cette « surreprésentation des Turcs est signalée à Angers et Cholet en 1978, 1979 : on l’explique par l’arrivée récente, ce groupe « ne dispose pas de sa propre communauté d’accueil ».. En 1981, les Turcs représentent 55% des visiteurs (1859 visites) de l’ADATI à Cholet alors qu’il n’y a que 321 Turcs à Cholet, dont 116 hommes ! Situation identique en 1982.

Il est dommage que les rapports d’activité de l’ADATI ne fournissent pas la répartition par sexe des visiteurs. Dans les premières années, on ne parle que de visiteurs hommes. Ce n’est qu’en 1984-1985 qu’on constate : « nous enregistrons de plus en plus de démarches de femmes ».

L’aide aux démarches administratives

Les permanences de l’ADATI aident d’abord les travailleurs immigrés dans leurs démarches administratives : en 1975-1976, les cartes de travail sont le sujet de 7,7% des visites, mais la sécurité sociale de 22%, les allocations familiales de 10,5%. On constate une évolution à la fin des années 1970 : les problèmes de carte de travail concernent les femmes venues par le regroupement familial, et les jeunes à la recherche d’un emploi s’ils n’ont pas deux ans de scolarité en France (rapport 1977-1978). On relève en 1978 le problème des jeunes de plus de 15 ans arrivés par le regroupement familial, qui ne peuvent travailler ; en 1981-1982, à propos de ces jeunes, on s’interroge : « D’ailleurs est-ce souhaitable ? Dans la mesure où ces jeunes n’ont pas une connaissance suffisante de la langue française, ceux-ci auraient besoin en priorité d’une formation linguistique, sans quoi, pendant des années, ils rencontreront les mêmes difficultés que rencontrent leurs parents ». En 1980, on signale la demande des femmes qui souhaitent travailler après avoir élevé leurs enfants.

Comme le note le rapport d’activité de 1982-1983, « L immigration n’est pas arrêtée : le regroupement familial et l’arrivée sur la marché du travail des enfants des travailleurs immigrés fait qu’il y a toujours de nouveaux venus dans les bureaux d’accueil ».

Relais de l’administration, les bureaux d’accueil de l’ADATI doivent en appliquer les consignes, ce qui n’est pas sans poser de problèmes aux militants du CA et aux salariés. (Voir l’immigration un problème politique) En 1977, le CA signale que l’ADATI a refusé de distribuer les dossiers d’aide au retour. Fin 1980, on doit constituer les dossiers de départ prévus par l’accord franco-algérien de septembre 1980, et dans le rapport d’activité de 1981-1982, on mentionne que 48 visiteurs sont venus pour un dossier de ce type. En 1984-1985, c’est l’application des conventions prévues de réinsertion dans le pays d’origine qui est à l’ordre du jour (avec l’aide d’entreprises d’ici)

Les enfants

Les questions classiques de scolarisation et d’orientation des enfants apparaissent, puis celles du devenir après les études. Mais les problèmes abordés lors des permanences sont plus larges : en 1980, « les permanents sont de plus en plus confrontés à des problèmes très particuliers, comme par exemple : les conflits entre adolescents et parents maghrébins. Une réflexion et une action particulière devront être menées en collaboration très étroite avec les travailleurs sociaux sur ce problème précis ». En 1984-1985, on évoque de nouveau les conflits parents-enfants.

Le CA de l’ADATI s’interroge en 1983 : « Sur le problème de la deuxième génération, il y a des organismes existant qui prennent en partie en charge ce problème. Pour certains administrateurs, ce problème n’est pas un problème de bureau d’accueil mais de quartier, de scolarité, de formation professionnelle. C’est tout un ensemble qui doit s’occuper de ce problème ». Les jeunes de la deuxième génération sont de nouveau évoqués dans la rapport du 24 septembre 1985, le dernier.

Un quotidien ordinaire

Le quotidien d’hommes seuls laisse place au quotidien de familles avec enfants : d’où des questions autour du logement, des assurances, du crédit, des impôts, du divorce (selon la législation française). Puis (1984-1985), « une nouvelle demande : l’orientation vers les créations d’activités commerciales et artisanales. Maçonnerie, bucheronnage, commerce fruits et légumes, épicerie, tapis…beaucoup de difficultés, sur le gestion, la couverture sociale de la famille »

Des services spécifiques pour les immigrés, n’est-ce pas créer une ségrégation ?

Hors le cas des nouveaux arrivants (réfugiés du Sud-Est asiatique), les problèmes que rencontrent les travailleurs immigrés sont-ils différents de ceux que rencontrent les familles ouvrières d’origine française ?

La question est posée par les salariés de l’ADATI dès 1976 : « certaines difficultés rencontrées par les travailleurs Immigrés se sont pas propres aux étrangers mais affectent également les travailleurs Français. Aussi toute politique tendant améliorer le sort des immigrés doit donc s’insérer dans une politique globale du salarié ». En 1982, la CPAM de Cholet veut supprimer sa permanence dans les locaux de l’ADATI « pour ne pas favoriser la ségrégation ». Les salariés de l’ADATI, inquiets devant le recul de la fréquentation des travailleurs immigrés envisagent une évolution, devenir des travailleurs sociaux comme les autres, dans le cadre « d’actions de préformation » s’adressant à un large éventail de population. N’irait-on pas, selon le président de l’ADATI (octobre 1983) « vers une ouverture du réseau à l’ensemble des familles démunies (de l’hexagone) familles françaises dont l’ambiance s’apparente aux familles immigrées » ?

Mais en même temps, le personnel de l’ADATI est sensible à « la spécificité de la situation » de ce travailleur immigré, de la « reconnaissance des structures d’origine […], pour « leur permettre « d’être » dans nos cités » (octobre 1981). « Ce n’est pas le bureau d’accueil qui crée l’assistanat, mais la situation faite aux immigrés dans la société » (déclaration du personnel CGT de l’ADATI octobre 1982).

Il y a, au début des années 1980 un changement d’ambiance : on prend conscience Lien vers texte de Chadia Arab de ce que les immigrés ne vont pas repartir chez eux.

Quoiqu’il en soit et malgré le désir souvent exprimé d’un éventuel retour au pays, il semble certain qu’un grand nombre de famille envisagent de rester en France tant qu’ils en auront la possibilité. Ce choix paraît logique dans la mesure où les enfants qui suivent une scolarité en France se familiarisent à la vie française et influent sur l’adaptation progressive de leur famille. On peut donc considérer que malgré les difficultés actuelles des familles immigrées dans leur grande majorité resteront en France.
Rapport d’activité de l’ADATI, 1983-1984

Jean-Luc Marais
docteur en histoire et maître de conférences honoraire à l’Université d’Angers.

[1] ADML, fonds ADATI, 247 J 1-3.