Les emplois des étrangers en Maine-et-Loire de 1965 à 1980

Des taux d’activité record pour les hommes. L’usage courant est de parler des « travailleurs immigrés », bien plus que des étrangers. L’emploi est abondant, l’embauche immédiate, la mobilité des travailleurs est grande, d’entreprises en entreprises. Pour l’essentiel, il s’agit d’emplois non qualifiés, dans le bâtiment et les travaux publics, en particulier à Angers.

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En 1964, le taux d’activité de l’ensemble des étrangers est relativement faible, puisque domine encore la vieille immigration, avec des femmes nombreuses, des retraités, des étudiants : le taux d’activité est de 57 % de la population en âge de travailler (proche du taux national, 58% pour la France en 1968). Pour les hommes, on peut l’évaluer à 82%. Pour les Portugais, il est de 83%, pour les Marocains de 100% [1]. Pour les Algériens, en 1967, il est de 63% des hommes adultes, en 1970 de 82%, et il est plus élevé  pour les étrangers arrivés le plus récemment : 98% pour les hommes tunisiens, 92% pour les hommes marocains [2].

Le directeur départementale de l’action sociale écrit, le 3 février 1965 :

En accord avec la circulaire ministérielle [du 24 décembre 1964], nous avons constaté que l’apport en main d’œuvre étrangère ne venait plus des pays traditionnels, mais de la péninsule ibérique et de l’Afrique du nord . Ces étrangers sont surtout allés vers les professions du Bâtiment et, en particulier, la société Dumez qui travaille sur les voies ferrée, et a pris, début 1964, 27 ouvriers étrangers, pour la plupart Marocains ; l’usine d’Ecouflant (4), les entreprises Le Bomin d’Angers (2),Brochard et Gaudichet d’Angers (2) [3].

 

Nombre de travailleurs introduits en Maine-et-Loire par l’Office national de l’Immigration (ONI) [4]

1965 1966 1967 1968 1969 1970
211 229 302 147 486 471

En 1973, on évoque 4500 travailleurs étrangers en Maine-et-Loire, à rapprocher des 4726 étrangers hommes recensés en 1974. En 1975, sur l’ensemble de la population étrangère, où dominent désormais les nouveaux immigrants, le taux d’activité est de 95% pour les hommes, 30% chez les femmes [5].

En recul industriel jusqu’en 1962 (53 000 emplois), le Maine-et-Loire crée désormais des emplois industriels : il y en a 60 000 en 1968, 70 000 en 1990. Certes, les travailleurs immigrés n’en remplissent qu’une partie (en particulier dans le Choletais), mais l’appel de l’industrie provoque des changements d’emplois chez les nationaux, ce qui laisse libres des emplois peu qualifiés.

Même si les activités commerciales et artisanales des « anciens » étrangers persistent, statistiquement les emplois de manœuvres du bâtiment et des travaux publics l’emportent désormais. Une présentation d’ensemble, encore approximative, est faite en 1971 par le préfet.

Voir document 3

Il est cependant difficile de connaître exactement les emplois occupés. Les statistiques du service des étrangers relèvent les qualifications professionnelles. A partir des listes nominatives établies en 1972 (mais qui n’enregistrent pas forcément les changements de profession depuis la délivrance de la carte de séjour), on peut établir des données concernant hommes et femmes selon des catégories statistiquement approximatives pour Angers.

Hommes Femmes
Manœuvres OS Bâtiment TP Industrie Services SP, étudiants Industrie Services SP
Algériens 76% 8% 4% 6% 100%
Marocains 65% 3% 15% 1% 6% 10% 9% 90%
Tunisiens 51% 5% 24% 3% 3% 12% 100%
Portugais 45,5% 2% 41% 3% 4% 13% 22% 61%
Espagnols 7% 32% 16% 17% 26% 3% 16% 80%

Sondage sur la moitié des effectifs des nationalités ci-dessus

En 1979, la presse fait état d’une enquête du CAD auprès de 15 entreprises du Maine-et-Loire sur les emplois des travailleurs étrangers [6].

Emplois Pourcentage
Manœuvres 63,6%
Ouvriers qualifiés 23,7%
Ouvriers hautement qualifiés 0,8%
Chefs d’équipe 0,8%
Cadres 0,1%

 

On peut aussi rechercher dans quelles entreprises travaillent les étrangers. Lorsque qu’à partir de 1975 une politique d’amélioration de la situation des étrangers présents en France se met en place, en particulier en ce qui concerne la formation, on cherche à repérer les entreprises qui occupent des étrangers.

Pour les arrondissements d’Angers et de Saumur, une liste précise est établie par un service officiel le 5 février 1976 [7].

Liste des principales entreprises des arrondissements d’Angers et de Saumur employant au moins 15 travailleurs étrangers :

Entreprise Commune Nb de travailleurs
Brochard et Gaudichet- Angers 230 (dont 20 à Laval)
Pouteau- Angers 96
Braud- Angers 24
Cégédur-Péchiney- Montreuil-Juigné 35
Manducher- Pouancé 20
Sueur- Chateauneuf-sur-Sarthe 88
TP Fonteneau- Angers 58
Meray-Brisseau- Angers 17
DBA Saint-Barthélemy d’Anjou 38
Thomson Angers 19
Outelec Angers 18
Champignonnière-de-la Loire Saumur 52
Ardoisières d’Angers Trélazé 68
Métiers du Bâtiment Saint-Sylvain-d’Anjou 20
BT Blandin-Le Bomin Beaucouzé 15
TP Pétrissan Saint-Barthélemy-d’Anjou 16
TP Duchemin Chateauneuf-sur-Sarthe 25
Boistard Maçonnerie Angers 20

 

Une autre liste, à la même date, mentionne pour Cholet, sans autre précision, les entreprises employant plus de 25 travailleurs étrangers : Canselier, Nicoll, CRB, Brochard, Bérard, Morellet, Michelin, Bonnet. Les emplois agricoles agricole sont estimés à 300 en 1976 (selon le directeur de l’ADATI). Pour en savoir plus : Les étrangers dans la société angevine 1965-1985 : les actions publiques.

Lorsqu’en mars 1976, l’ADATI veut se faire connaître par la distribution d’une carte auprès des travailleurs immigrés, elle demande aux entreprises de combien de cartes elles auront besoin. Les entreprises répondent en indiquant un nombre généralement supérieur à celui du tableau ci-dessus (300 pour Brochard, 50 pour Braud, 43 pour DBA, 50 pour Boistard). Elles prévoient de nouvelles embauches, mais est-ce par création d’emploi ou par turn-over des travailleurs ? Des entreprises non mentionnées par la tableau ci-dessus apparaissent : Tourault, Outin, Cochard, Béjarry. Une autre liste de mars 1976 (entreprises ayant des conventions de formation de la main d’œuvre) fait apparaître d’autres entreprises : Tharreau (effilochage) à Chemillé, Bréhéret-Bois à Montrevault-Saint-Pierre-Montlimart.

Brochard et Gaudichet, entreprise de bâtiment, apparait comme la première entreprise pour l’emploi des étrangers. Le bâtiment est comme partout le premier secteur d’emploi des étrangers. En 1973, à Angers, en dehors de 55 travailleurs dans l’agriculture, le reste se partage par moitié entre BTP et industrie [8]. Mais en Maine-et-Loire, les étrangers sont loin d’être majoritaires dans le BTP .

Un recensement national des effectifs du secteur BTP pour l’ensemble de la France fournit des données au 15 mars 1975 pour le Maine-et-Loire. Les étrangers, 1154, y forment 6% des effectifs (moins qu’en Loire-Atlantique 8%, et que dans la Sarthe, 10%). Le premier groupe est celui des Portugais (418), puis des Tunisiens et Marocains (300), des Algériens (86), des Espagnols (37). Des sources différentes montrent le recul de ces effectifs dans les années qui suivent, avec 5% des effectifs en 1982 (soit 925 employés). Pour la France, en 1982, les étrangers représentent 25% des effectifs du secteur (31% selon d’autres statistiques).

Le travail à Trélazé (cf livre APTIRA) lien ? et autres liens vers témoignages

A la fin des années 1970, apparaissent trois nouveautés :

*Le chômage, qui touche les immigrés : en 1976, Il y a 285 étrangers demandeurs d’emploi dans le Maine-et-Loire (sur 9 000). Sur ces 285 personnes, il y a 37 manœuvres, 148 OS, 64 OQ. Fin 1978, on est passé à 351 étrangers demandeurs d’emploi (sur 11 379), mais la proportion est la même, 3%.

*L’invalidité : les métiers des travailleurs immigrés sont durs, et constate les permanents de l’ADATI chargés de démêler ces problèmes d’invalidité, après un accident ou une maladie professionnelle :

Nous constatons que les possibilités de réinsertion des travailleurs immigrés sont pratiquement inexistantes et la situation de ces travailleur se dégrade très rapidement pour aboutir à un état d’assisté permanent. (Rapport d’activité 1977-1978)

*Le non-emploi des jeunes. Les jeunes arrivés par le regroupement familial, et n’ayant pas été scolarisés au moins deux ans en France, n’ont pas le droit de travailler :

D’ailleurs est-ce souhaitable ? Dans la mesure où ces jeunes n’ont pas une connaissance suffisante de la langue française, ceux-ci auraient besoin en priorité d’une formation linguistique, sans quoi, pendant des années, ils rencontreront les mêmes difficultés que rencontrent leurs parents. (ADATI, septembre 1982)

Jean-Luc Marais
docteur en histoire et maître de conférences honoraire à l’Université d’Angers.

[1] Calcul à partir de données du rapport du 9 novembre 1965 (ADML, 257 W 98) et de l’état de la population étrangère en décembre 1964. Pour les Marocains, c’est même 111%, car l’état des étrangers est établi à la fin de l’année 1964, alors que les données sur l’emploi sont de 1965.

[2] ADML, 417 W 103

[3] ADML, 257 W 98.

[4] Insee, Pays-de-la-Loire, n° 1, 1971.

[5] ADML, 1018 W 61

[6] Courrier de l’Ouest, 5 octobre 1979. CAD : Comité angevin pour le développement.

[7] ADML, fonds de l’ADATI, 447 J 17.

[8] Enquête du CAD – ADML, fonds CFDT, 302 J 590.