1919-1939 : Les réfugiés politiques

1919-1939. Les tensions internationales et les révolutions politiques bouleversent l’Europe et provoquent des déplacements de population. Le Maine –et-Loire reçoit des Russes blancs, et à partir de 1935, des populations fuyant l’Allemagne nazie et l’Espagne de Franco.

On peut distinguer trois grandes vagues.

Les Russes Blancs

Fuyant le régime soviétique et considérés comme apatrides – porteurs du «passeport Nansen» – la plupart sont d’anciens combattants des armées blanches de Denikine et de Wrangel, parvenus en France vers la fin des années 20, après bien des tribulations.

Ainsi Monsieur K…, d’une famille de propriétaires de la région d’Odessa. Lycéen en 1917, il s’engage dans les armées blanches d’Ukraine où il participe à diverses campagnes, avant de se retrouver contraint au rembarquement et au départ de son pays en novembre 1920. D’abord interné dans un camp à Gallipoli, il gagne ensuite durement sa nourriture en Bulgarie comme manœuvre sur des chantiers routiers, puis comme réparateur ambulant de machines à coudre, de 1921 à 1923. Après plusieurs tentatives infructueuses de franchissement des frontières, il parvient en 23 en Tchécoslovaquie où il peut effectuer cinq années d’études agronomiques. Enfin en 1928, il obtient un visa pour la France, où il exerce alternativement les métiers de technicien chimiste et de garçon coiffeur ! Naturalisé en août 1939, marié à une Française, il est mobilisé quelques mois plus tard.

En Maine-et-Loire, on compte dans les années 30 prés d’une centaine de Russes Blancs : 85 en 1936, dont une cinquantaine à Angers, qui aiment se réunir dans le quartier de la Madeleine, et une quinzaine à Saumur. Anciens cadres, le plus souvent instruits, ils ont dû accepter un déclassement, mais exercent cependant des emplois relativement qualifiés : travailleurs indépendants, techniciens, cadres et agents de maîtrise, employés… En 1939-1940, leur petite colonie est renforcée par des réfugiés russes repliés du XIIIe arrondissement de Paris. En juin 1941, quand éclate la guerre germano-russe, on recense 89 russes, dont 42 à Angers.

Les réfugiés d’Europe germanique

Ils affluent progressivement à partir de l’avènement d’Hitler (fin janvier 1933).

Les Sarrois

A la suite du plébiscité du 13 janvier 1935 favorable au rattachement à l’Allemagne, environ 4 000 Sarrois pro-français ou anti-nazis passent en France, où, pour éviter les incidents de frontière, ils sont dirigés vers l’Ouest et le Sud-Ouest. C’est ainsi qu’on en retrouve 27 à Angers en 1936 ; et en mai 1940, 35 en Maine-et-Loire dont 16 à Angers, pour la plupart ouvriers.

Les Autrichiens

Pour échapper à l’Anschluss (mars 1938), un certain nombre d’Autrichiens se réfugient en France. On en dénombre une quinzaine dans le département, dont dix hommes adultes.

Les Juifs d’Allemagne et d’Europe Centrale

A partir de la fin de 1933, et jusqu’en 1939, pour échapper aux persécutions nazies, quelques 100 000 Juifs du Reich et des pays danubiens parviennent à gagner la France. En Maine-et-Loire, au début de la guerre, ils sont une centaine : 95 à la date du 18 juin 1942, dont 52 dans l’arrondissement d’Angers et 27 dans celui de Saumur, « tous entrés régulièrement, et dont aucun ne s’est fait remarquer par une attitude contraire aux intérêts du pays », reconnaît un rapport de police du 6 juin 1941. A la veille de la guerre, certains d’entre eux ont ouvert des boutiques, provoquant quelques réactions xénophobes de la Chambre de Commerce d’Angers. Massivement arrêtés et déportés par les occupants à partir de juillet 1942, ils seront presque tous exterminés ; 8 seulement reviendront des camps.

Les Républicains espagnols

Une troisième vague, la plus nombreuse, est constituée par les réfugiés chassés d’Espagne par la guerre civile (juillet 1936 – mars 1939) et sollicitant le statut « d’asile ». Ces réfugiés civils des zones républicaines, femmes, enfants et vieillards – auxquels s’ajoutent quelques miliciens blessés, acculés à la frontière française par les offensives nationalistes, sont des Espagnols des provinces septentrionales : en 1936-1937, essentiellement des Basques, en 1938-1939, des Aragonais et des Catalans.

Ils arrivent en convois de 200 à 500 personnes – par trains spéciaux (au moins 6, de 1936 à 1939). Par exemple, au moment de la chute de Saint-Sébastien (septembre 1936) un groupe s’embarque pour Pauillac ; de là, les hommes retournent au combat à Bilbao, tandis qu’un train spécial achemine femmes et enfants à Angers, via Niort.

A Angers, l’accueil semble bien organisé par les préfets successifs. Le préfet Stirn (1937-1938) puis le préfet Ancel (1939), à l’arrivée de chaque convoi, se déplacent eux-mêmes à la gare Saint-Laud, en compagnie des responsables des services préfectoraux concernés, du commissaire de police, et d’un ou plusieurs interprètes. Les réfugiés, pour la plupart dépourvus de tout, sont dénombrés, ravitaillés et répartis entre divers centres d’hébergement, surtout à Angers (à l’Hôpital-Hospice, à Bellefontaine, dans des centres tenus par les Conférences Saint-Vincent-de-Paul, au centre d’accueil pour enfants de la rue Saumuroise…), et à Trélazé (à l’ancienne manufacture d’allumettes). La cité ardoisière se montre particulièrement hospitalière à leur égard, à cause de la présence d’une petite colonie de travailleurs espagnols, et en raison de la coloration politique de la municipalité dirigée par Ferdinand Vest, fervent partisan du Front Populaire : près de 150 réfugiés espagnols vont séjourner temporairement à Trélazé. D’autres réfugiés sont répartis entre les petites villes du département : Cholet. Saumur, Segré, Doué, Candé, Chemillé…

Au fil des convois, le nombre des réfugiés ne cesse de s’accroître, en dents de scie cependant, car entre deux arrivées successives, l’effectif est sensiblement réduit par des mouvements de transfert vers d’autres départements et par des rapatriements. Le maximum est atteint au moment de la déroute républicaine, avec le 25 février 1939, un total de 1309 réfugiés espagnols (pour plus de 80 % des femmes et des enfants) dont 1240 indigents, touchant une indemnité de six francs par jour. A partir de mars 1939, qui marque la fin de la guerre, le nombre des réfugiés diminue rapidement, tant par dispersion dans des départements plus industrialisés exprimant des besoins de main-d’œuvre que par l’organisation de rapatriements massifs. Si bien qu’en juin 1940, il ne reste plus en Maine-et-Loire que 80 réfugiés espagnols indigents, auxquels il convient plusieurs dizaines d’autres qui ont trouvé emploi et logement, et vont se fixer en Anjou, surtout à Angers et à Trélazé.

Au terme de cette étude, qui ne saurait prétendre à l’exhaustivité, de l’immigration étrangère en Maine-et-Loire dans les années 30, il convient d’observer que de 1936 à 1946, malgré l’apport des réfugiés politiques, le nombre des étrangers a très sensiblement diminué, sous l’impact de la guerre et de l’occupation : il est tombé, « sujets français » exclus, de 2 928 à 2 589. A l’exception de la colonie espagnole, qui passe de 348 à 598 personnes et prend le premier rang, et de la colonie belge, qui passe de 306 à 357, toutes deux grossies par des réfugiés, tous les groupes nationaux sont en régression.

Jacques Jeanneau, Maître de conférences à l’Université d’Angers Les étrangers en Maine-et-Loire dans les années Trente », extrait des Mémoires de l’Académie d’Angers, T. XX, 1987-1988.
Avec l’autorisation de l’auteur et de la revue.
La première partie de l’article se trouve dans le dossier 1919-1945

Jacques Jeanneau
Maître de conférences à l’Université d’Angers